Instruits, expérimentés et sous-utilisés
paru dans La Presse, le 15 juillet 2006
Les dilemmes des universitaires sans boulot sont nombreux. Accepter ou refuser les petits boulots ? Garder le cap sur leur expertise ou élargir les recherches ? Retourner aux études et, dans le cas des immigrants, retourner au pays.
Jacinthe Tremblay
En août prochain, Mohammed Berhili et Nadia Mechita s’envoleront vers le Maroc avec leurs deux enfants. Peut-être pour de bon. Arrivées il y a cinq ans à Montréal, ils ont, depuis, cherché en vain des emplois qui correspondent à leur expérience et à leurs compétences.
Avant d’immigrer, Mohammed était directeur des ventes du Hilton de Rabat et Nadia était gestionnaire dans une grande entreprise de télécommunications. Ici, ils ont emprunté le parcours de nombreux immigrants instruits et expérimentés. Ils ont fait des petits boulots, pour se doter de cette expérience canadienne tant réclamée par les employeurs et gagner des sous.
Mohammed a complété avec succès une maîtrise en gestion spécialisée en tourisme, à l’Université du Québec ainsi qu’un certificat en anglais, pour acquérir ces diplômes canadiens tant réclamés par les employeurs.
Il a postulé à deux reprises, toujours en vain, dans tous les hôtels 4 et 5 étoiles de Montréal et des environs. Il a offert ses services pour des postes de cadre dans d’autres secteurs d’activités. Toujours rien. Il a même adopté son surnom, Simo, dans son CV, à la suggestion d’une conseillère en recrutement. Lorsqu’elle lui a recommandé d’y ajouter un N, pour devenir Simon, il a refusé. « Pas question ! Est-ce qu’on embauche les gens pour leur nom ou pour ce qu’ils sont ? », lance-t-il avec une colère contenue.
Toujours sans emploi, les Berhili-Mechina sont maintenant face à un autre dilemme : rester ou ailleurs voir ailleurs. Ils ont choisi cette deuxième option. « Ça suffit ! J’ai 36 ans. J’ai peur que mon expérience se dissipe avec le temps. Pour l’instant, mes études ont amélioré mon profil. Si je ne trouve rien, je creuserai un grand trou dans mon CV », explique M. Berhili.
Ils feront d’abord de la prospection pendant trois ou quatre mois au Maroc, qui vit actuellement un boom touristique. S’ils ne dénichent rien, ils reviendront au Canada, ailleurs qu’au Québec.
Si leurs démarches des dernières années portaient fruit ici dans les prochaines semaines, ils resteraient avec plaisir. « Nous avons choisi le Québec », rappellent-ils.
Ils se désolent du grand gaspillage de ressources par les entreprises. « Nous faisons pourtant partie des immigrants sélectionnés pour leurs compétences par le Canada », insistent-ils.
Un grand problème
Le couple marocain fait partie des 52% de nouveaux immigrants universitaires qui, selon une étude de Statistique Canada publiée en avril dernier, occupent pour des périodes plus ou moins longues des emplois qui ne nécessitent qu’un diplôme d’études secondaires dans les 10 années après leur arrivée au pays.
Chez les universitaires nés au Canada, la proportion est presque deux fois moindre, soit 28%. Statistique Canada attribue en partie la sous-utilisation des immigrants instruits par les difficultés de reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquise à l’étranger. Elle est aussi le résultat de la discrimination.
Les origines étrangères n’expliquent pas tout. Selon Statistique Canada, les surqualifiés, toutes origines confondues, se retrouvent en plus grand nombre chez les diplômés en commerce (37%) ainsi qu’en arts, sciences humaines et sciences sociales (32%).
Que faire ?
La conseillère en gestion de carrière Nathalie Martin, présidente d’Enjeux Carrière, constate que les travailleurs instruits et possédant beaucoup d’expérience ont tendance à trop se faire valoir. « Ils peuvent faire peur aux employeurs. Ils ont intérêt à être modestes dans la façon de présenter leurs réalisations et à adapter leur CV en fonction des postes, quitte à ne pas tout mettre », conseille-t-elle.
Elle recommande également à ces personnes d’effectuer des recherches plus ciblées, dans leur domaine, et à développer des liens directs avec des responsables des entreprises qui les intéressent.
Elle convient toutefois que l’approche des petits boulots est parfois incontournable, particulièrement pour les immigrants. Dans ces cas, elle suggère d’occuper des postes à temps partiels ou avec des horaires variables qui leur laissent le temps de chercher ailleurs.
Lorsqu’ils appliquent sur des postes pour lesquels ils ont surqualifiés, Mme Martin conseille d’expliquer aux employeurs pourquoi ils sont dans cette situation. « Tout est dans l’art de la communication et de la négociation. Ceux qui ont passé sans succès des entrevues auraient intérêt à se pratiquer avec un coach qui connaît bien les recruteurs », dit-elle.
Adel Ghamallah, responsable du comité professionnel au Centre culturel algérien de Montréal, accompagne plusieurs universitaires d’origine maghrébine dans leurs recherches d’emploi. Il observe que la motivation, la persévérance, l’attitude positive et la patience sont de mises.
« Il faut en moyenne trois ans et souvent plus pour trouver un poste intéressant. Pour les employeurs, c’est la motivation et l’attitude qui fait la différence, beaucoup plus que les compétences », dit-il.
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